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"Les droits des filles ne viennent pas sur un plateau d'or, nous devons continuer à nous battre!"

Eline Versluys Manager Gender at the Center Initiative
  • 16 Jun 2022
  • 11 min

Interview avec Ely Aminetou Mint Mokhtar, Membre fondateur de la Coalition des Organisations Mauritaniennes pour l’Education (COMEDUC) et Présidente Association des Femmes Chefs de Famille (AFCF). 

Je rencontre Ely sur le toit-terrasse d'un restaurant à Nouakchott, en Mauritanie. Avec le sable du désert qui tourbillonne autour de nous et le son du muezzin en fond sonore, Ely me montre que la passion et le militantisme authentiques n’ont pas d’âge. À 65 ans, elle est l'une des défenseuses des droits des femmes les plus dynamiques et les plus acharnées de Mauritanie. Son parcours extraordinaire raconte l'histoire d'un courage et d'un engagement de toute une vie et constitue une source d'inspiration pour la jeune génération.

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Vous vous souvenez du moment où vous avez pour la première fois pris conscience des inégalités de genre dans votre pays ? 

Quand j’avais 13 ans, je rentrais de l’école, quand je voyais dans la rue une manifestation de femmes ouvrières. Elles travaillaient pour une société de gomme arabique et réclamaient de meilleures conditions de travail. J’ai vu comment ces femmes étaient brutalisées par les policiers. Sans hésiter je me suis jointe à la manifestation. Les policiers m’ont arrêtée et emmenée au commissariat. Le commissaire, qui était un ami de la famille, m’a conseillé de ne plus me mêler à ce genre de choses. Mais je ne l’ai pas écouté. Depuis ce jour je n’ai pas arrêté de me battre pour les droits des femmes. J’étais la première mineure dans l’Association des Femmes Démocrates Mauritaniennes.

D’où est né votre passion pour l’égalité et la justice sociale? 

J’ai toujours été une enfant rebelle. J’étais la fille unique dans ma famille. Je n’acceptais pas que quiconque me dicte quelque chose. Ma famille a voulu me gaver [1], mais je n’ai pas accepté. Je me révoltais aussi pour les autres. Je suis née dans une famille esclavagiste [2]. On avait des esclaves, mais je n’ai jamais accepté de les traiter comme tels. Je les considérais comme ma famille. Je leur demandais tout le temps pourquoi ils acceptaient cette situation. Mes parents me battaient pour cela. 

Qu’est-ce que vos proches pensaient de votre engagement social ? 

Ma famille s’est toujours opposée à mon combat pour les droits des femmes. Ils estimaient qu’une fille devait uniquement se concentrer sur son mariage. Par mon engagement, j’ai été beaucoup battue. J’ai été arrêtée et emprisonnée plusieurs fois. Mon père me mettait des chaînes pour m’empêcher de sortir. Mais moi je mettais des pansements sur les chaînes et je sortais tout de même pour participer aux manifestations. 

Est-ce que vos parents vous ont permis de continuer l’école ? 

Non, mes parents m’ont donnée en mariage à l’âge de 13 ans. Ils ont organisé une grande fête. J’étais à la maison, entourée de beaucoup de personnes. Je ne savais pas que c’était ma fête de mariage, jusqu’à ce que quelqu’un me le dise. A ce moment-là je me suis tellement fâchée, que j’ai pris un tuyau et j’ai mouillé tout le monde ! Ce mariage n’a pas été un succès. J’ai eu un enfant à l’âge de 14 ans. Je ne savais pas comment prendre soin d’un bébé. Mes parents ont pris l’enfant. Moi je continuais à m’engager dans le mouvement social. Les policiers venaient tout le temps à la maison et j’étais tout le temps en prison. Mon mari ne le supportait pas. A l’âge de 16 ans je me suis divorcée. Après un deuxième mariage et un deuxième divorce j’ai décidé de ne plus me marier et de me consacrer pleinement à la lutte pour l’égalité de genre. J’ai épousé mon engagement social. 

Quelle est votre motivation pour vous combattre pour l’égalité de genre ? 

J’estime que les êtres humains sont égaux. Il faut se combattre pour cette égalité. Elle n’arrive pas sur un plateau d’or. Les droits, ils s’arrachent et il faut faire tout pour les arracher. Surtout dans un jeune pays comme la Mauritanie où il y a encore beaucoup d’inégalités et de racisme. Dans notre pays la femme est réduite à un objet de plaisir pour l’homme. Combien de fois les gens m’ont dit : « Pourquoi tu travailles ? Pourquoi tu veux aller à l’école ? Reste à la maison et occupe-toi de tes enfants ». Comme si la vie c’est seulement la maison et les enfants. 

Pourquoi vous engagez-vous pour l’éducation des filles ? 

L’éducation est extrêmement importante pour autonomiser les filles. Quand on est éduqué, on peut connaître ses droits et on peut les réclamer. L’éducation est l’élément clé de tout changement social. 

Qu’est-ce qu’il faut faire pour rendre le système éducatif plus égalitaire en Mauritanie ? 

 Tout d’abord il faut changer le curriculum scolaire. Par le curriculum actuel l’état est en train d’institutionnaliser la discrimination des femmes. Les manuels scolaires sont remplis de stéréotypes de genre. Il faut enlever ces stéréotypes, et il faut insérer des modules sur les droits de l’homme et l’éducation à la sexualité. Nous devons aussi combattre les violences basées sur le genre, qui sont omniprésentes en Mauritanie. Et finalement il faut recruter plus de femmes enseignantes, pour que les filles aient des modèles et des personnes de confiance à l’école. 

Quel est votre conseil pour les jeunes activistes aujourd’hui ? 

conscientes de ce qu’elles veulent. Nous avons déjà fait beaucoup de progrès. Aujourd’hui nous avons une jeunesse plus intègre, qui s’occupe plus des personnes sans voix. Mon conseil pour les jeunes aujourd’hui et de bien écouter ces populations marginalisées et de défendre leurs droits. Jetez ce qui est mauvais de l’expérience de vos aînés, et gardez ce qui est bon.